Immortelle, au Moco et à La Panacée, Montpellier
Les nostalgiques de peinture se réjouiront du retour de cette Immortelle, présente dès les débuts de l’humanité mais malmenée naguère et laissée pour morte, du moins dans notre hexagone, malgré Bioulès et la figuration libre. Numa Hambursin, dont c’était le rêve et le combat, et sa commissaire Amélie Adamo, n’ont point lésiné ni sur le nombre, ni sur la variété, ni sur les grands formats et wall-painting (Florence Obrecht, Oda Jaune, Gilles Miquelis, Thibault Hazeltet), afin de nous offrir un panorama assez exhaustif de la peinture figurative d’aujourd’hui. Tant du côté des quadra et quinquagénaires, dont certains ont longtemps attendu cette reconnaissance, des nouveaux venus de l’autre, mais il faut se diriger vers la Panacée et les choix d’Anya Harrison. 350 œuvres, et 122 artistes, revisitant les genres traditionnels (Paysage, Nature morte, Portrait, Peinture religieuse ou d’histoire… Engagement pour des causes brûlantes : migratoire chez Raphaëlle Ricol, hybridité et question du genre chez Guillaume Pinard, créolisation et revendication identitaire chez Johanna Mirabel…). Beaucoup pratiquent la citation, car chaque artiste se sent redevable envers ses prédécesseurs, pérennise ainsi la primauté de son médium de prédilection, et trouve dans le passé matière à réorienter l’avenir : Citons Thomas Agrinier parodiant Breughel, Abel Pradalié qui sollicite le montpelliérain Bazille, Corot ou Manet, Nazanin Pouyandeh et sa mise en abyme Matisse ou Gauguin dans l’Atelier de l’artiste, Lévy-Lasne et sa mise en scène muséale face à un Courbet, Gaël Davrinche qui « massacre » portrait de Raphael, Tursic et Mille plongeant dans le 18ème rococo, Rayan Yasmineh dans l’orientalisme chargé d’éléments décoratifs… Plus indirectement Frédéric Léglise imagine son modèle devant des tranches de catalogues, Marion Charlet se revendique d’Hockney, et la crâneuse Vanité connaît un certain succès intertextuel (Ronan Barrot, Fabien Mérelle en anamorphose, Vincent Bizien)… La citation sert aussi à réveiller les consciences face à divers types d’exclusion, de marginalisation ou d’hégémonie. C’est le cas du double triptyque de la sulfureuse Apolonia Sokol, qui féminise une traditionnelle déposition de croix (La panacée). Quatre sections sont annoncées au Moco, lesquelles aideront le visiteur désorienté, la visite réservant une surprise de taille : un pléthorique cabinet de petites œuvres érotiques, frissons garantis. On se rend vite compte que nos régionaux n’ont pas été oubliés (Boitard et son gâteau d’anniversaire, Verny et sa Grande Motte, Julien Descossy et son indécente pisseuse, Grégory Forstner et ses dogues… Romain Ventura et sa fenêtre, ou Gaétan Vaguelsy et ses baigneurs). En outre, bien des artistes, nés à l’étranger (où la peinture s’activait), ont considérablement enrichi la production picturale : Anya Bellat-Giunta est d’origine russe, Filip Mirazovic, serbe, lequel côtoie le croate Davor Vrankik et ses éclatantes mines de plomb ! Elene Shatberashvili est géorgienne, Jung-Yeon Ming coréen, Orlando Mostyn-Owen britannique, Edgardo Navarro mexicain, Axel Pahlavi iranien, Marko Velk yougoslave, Dalila Dalleas Bouzar vient d’Alger, Daniel Clarke de New York, Xuteng Chen de Canton. On a deux frères suisses (les Rabus), et des belges d’origine ou d’adoption (Roegiers, Carlotta Bailly Borg…). On peut dès lors se demander si leur présence en si grand nombre en France n’a pas fini par emporter une adhésion qui se montrait réticente et donc favorisé le retour en grâce du medium. Nul n’est prophète en son pays mais l’exemple d’autres pays peut s’avérer très utile (comme l’immigration, au fond…). Certains passent sans encombre l’écueil du très grand format (la libanaise Miryam Haddad et son triptyque ensoleillé de couleurs vibrantes, ou Cristine Guinamand et son immersive huile sur toile emplie d’oiseaux de « Perturbation », dans une végétation envahissante). D’autres ont choisi des formats tout à fait modestes mais déployés en série : David Caille, Leïla Czermak Ichti, Charles Hascoët et ses chats, Lucie Picandet, Johanes Silversten et ses barres immobilières… Techniquement, gros engouement pour l’huile pourtant réputée difficile et prenant du temps (qui nous est compté) mais qui a son historicité et ses vertus de résistance (Enrichie de calque dans les émouvants portraits féminins de Sarah Jérôme). D’aucuns recourent au collage (Damien Deroubaix), au relief (Sabatté, Pencréac’h avec mannequin même !), à la sérigraphie (Eva Nielsen), au sang humain sur papier (Alison Flora, et sa ronde ensorcelante), au fusain et graphite dans les portraits polymorphes de Jérôme Zonder. On repère quelques proches d’un nouvel hyperréalisme (Bilal Hamdad) ou de l’inquiétante étrangeté surréaliste (Hervé Georges Ic, la bulgare Oda Jaune). On a également les amoureux de la lumière (le lustre de Damien Cadio, la Soudure de Benjamin Bruno, les vitraux de Grégory Derenne…) ou du clair obscur (baston urbaine de Guillaume Besson, contraste chez Audrey Nervi) voire du crépuscule (Iris Levasseur), de la nuit lunaire quasi-magique (Benjamin Defossez) ou de l’ombre (Gouache du grec Alkis Boutlis, le Nicolas, de Simon Martin). Certain(e)s, paysagistes, Murielle Belin, Elsa Gurrieri, Christine Safa, flirtent avec l’abstraction… Certes, bon nombre de noms sont reconnus (Olivier Masmonteil, l’inventive et féérique Marlène Mocquet, Julien Des Monstiers et sa cabane, Abdelkader Benchamma et ses encres marouflées, aux accents ésotériques) mais beaucoup sont de véritables découvertes, d’autant que la plupart des régions ont été sollicitées et que l’on ne produit pas forcément le même type de peinture à Strasbourg qu’en Bretagne, dans le sud qu’à Paris ou à Lille. Au demeurant, la volonté de montrer le maximum d’artistes fait que l’on se sent souvent frustré de ne pas en voir davantage pour chacun (sauf Corentin Canesson, bien servi, corridor de la Panacée). Or justement : il s’agit d’incitations à aller voir de plus près, notamment pour les plus jeunes. Avec le risque de passer à côté d’une œuvre qui ne nous aura pas séduits tout de go… Or c’est un peu le lot des expos collectives, Biennales et Foires. Elles peuvent paraître indigestes si l’on y vient se goinfrer. On peut au contraire savourer, déguster, parier sur des découvertes… Parions par ex, sur le symbolisme de Marcella Barcelo, Majorquaise, afin de célébrer les derniers jours d’été… Ou sur les énigmatiques floutés de Mylène Sanchez. Certes on ne saurait tout aimer. Mais rappelons-nous le monde selon Leibnitz. Ce sont les petites imperfections et zones d’ombre qui font ressortir la cohérence de l’ensemble et mettent le meilleur en lumière. Rousseau disait : Le Tout est bien. Entende qui a des oreilles. Et des yeux (cf. Le de Cinéma, de Rose Barbérat, à qui nous laissons le mot de la fin). BTN
Jusqu’au 11 mars, 13 rue république et 14, rue Ecole de pharmacie, www.moco.art