Du côté d’Arles : Luma et Fondation Van Gogh Eté 2024

La Peur dévore l’âme, LUMA, Arles

De Mécanique générale en Grande halle, des Forges au magasin électrique ce sont d’immenses entrepôts qui sont mis à la disposition des artistes, la plupart du temps pour des expositions monographiques, ce qui fait qu’une visite en ce lieu ne laisse jamais indifférent. Les artistes, souvent engagés dans une cause honorable, jouissent d’un prestige international. Judy Chicago est l’une des créatrices féministes les plus prolifiques de sa génération, William Kentridge nous sensibilise à l’histoire sud-africaine longtemps marquée par l’apartheid, Rirkrit Tiravanaja est considéré comme l’un des plus purs joyaux de l’esthétique relationnelle… Ce dernier nous accueille aux Forges sur deux étages avec la reconstitution d’une boutique asiatique spécialisée dans des parapluies à bas prix avant cette rétrospective nous rendant sensible à la diversité de ses propositions interactives (pensons au ping-pong, avec concept sur les lendemains en question) et collectives (une fresque évolutive au fusain d’une manifestation justifiée). Outre des reconstitutions de ses expériences culinaires (la culture du monde la mieux partagée), on découvrira une vidéo de pneu enflammé à caractère symbolique, des bonsaïs décolorés confrontés aux vrais dans des caissons lumineux, des variations en bronze sur le portrait de Mao, un immense poster où la foule mexicaine se positionne en point d’interrogation, des peintures géantes sur papier journal à la manière de Philip Guston, des miroirs incitatifs (Ne travaillez pas !), de précieux urinoirs muraux, une incitation à la lecture (Une révolution par minute), une invitation au nomadisme par le biais du camping, des poubelles en forme de statues géantes, des empilements de bouteilles, des passants filmés à NY…

L’espace de la Mécanique Générale dévolu à William Kentridge est tout aussi impressionnant. On pénètre dans les décors et personnages en effigie de son opéra The great Yes The great No (Quand des personnalités fuyant Vichy rencontrent, sur un cargo, les représentants de la cause noire).  Ici aussi on est surpris par l’ampleur de l’œuvre, notamment cet immense polyptique animé, où défilent, de manière saccadée, des manifestants motivés, où dansent des révolutionnaires soumis à des collages inouïs, et où des ombres se livrent à une procession symbolique. Un voyage en bateau (on sait ce qu’il suppose de ségrégation et pire), des hommes de somme sur cartes coloniales, le bureau de Trotski, noyé dans son discours, avec sa burlesque secrétaire filmée façon belle époque, des objets et maquettes… voilà ce qui nous attend et pour lequel il faut prendre son temps si l’on veut apprécier la subtilité de l’activité filmique.

Dans la Grande Halle, Theaster Gates ouvre son atelier de céramique inspiré de la tradition japonaise. On peut voir l’artiste expérimenter, ses réalisations, celles en cours d’évolution ou de temps de séchage, ses assistants car la fabrication est collective. Enfin, au Magasin électrique, on réalise l’importance de l’œuvre de Judy Chicago, ses expériences filmées ou photographiées autour de feux d’artifice diffusant une fumée colorée dans des lieux divers (université, désert, ou plus institutionnel au fur et à mesure que l’oeuvre s’est fait connaître). On réalise combien sa lecture de l’art minimal enrichit ironiquement celui-ci de recherches de couleurs douces et de combinaisons assouplies. On déambule dans une pièce emplie de plumes de canard jusqu’aux genoux. On découvre ses peintures de corps masculins vu d’un point de vue féminin, ses slogans suspendus, un banquet des femmes les plus emblématique de l’histoire, la naissance de l’Eve (ou Judith) nouvelle, des vagins stylisés en sculptures, une réflexion sur la mort, l’expérience de nouveaux supports (textile, céramique), bref une œuvre qu’il est largement temps de considérer à sa juste valeur.

Mais La Tour n’est pas en reste : les deux œuvres interactives de Drift sont à même de réconcilier l’art contemporain avec un public frileux. L’une gouverne des déplacements d’oiseaux, l’autre fait évoluer des formes neutres sur une piste électromagnétique obéissant à nos gestes souverains. Diana Thater nous invite à pénétrer une œuvre circulaire en tissu où sont projetées en panoramique les images d’un robot protégeant les plantes de l’apocalypse révolue. L’œuvre vivante de la brésilienne Erika Verzutti, très marquée par Brancusi, en bronze ou béton, semble fondée sur le principe de répétition du même, avec une prise en considération de la surface, érigée de pointes tout en réalisant un  cimetière sculptural à même le sol. Gustav Metzger nous force à regarder derrière la réalité d’une apparence (sous un drap au sol, derrière un rideau, entre deux pellicules géantes etc.) et dévoile ce que la guerre cache, tout comme ses journaux d’infos découpées et donc tronqués. Il y a encore beaucoup de choses à voir à Luma (nos vies numériques selon EBB, la photographie de Lee Friedlander, le prix Dior) notamment des œuvres déjà anciennes (Parréno) ou pérennes (la sculpture rose de Franz West, le toboggan de Höller…). On en ressort épuisés mais assouvis. BTN

Van Gogh et le étoiles, Fondation Van Gogh, Arles

Pour fêter ses 10 ans, la Fondation a choisi l’un des tableaux les plus emblématiques de la période arlésienne du grand Vincent : La nuit étoilée, peint jadis à quelques encablures, trône ainsi dans la deuxième pièce, vouée au Cosmos, entouré de quelques chefs d’œuvre des temps anciens et nouveaux. Côté ancien, une grande nébuleuse et une voie lactée du méconnu E. L. Léopold Trouvelot ; un grand carré, forme parfaite, de l’allemand Wenzel Hablik figurant l’espace cosmique; deux tableaux, dont un tondo, du suisse Augusto Giacommeti ; deux Kupka dont un Printemps (cosmique) et un superbe Malévich style Construction (cosmique aussi). De l’autre, le livre, sculpture en plomb de Kiefer, un papier stellaire au charbon de Caroline Corbasson et un mobile rotatif assez lent, réalisé par la polonaise Alicja Kwade. Dès l’entrée, nous croisions une incroyable nuit en bronze de Bourdelle, un minuscule V. Hugo, un Klein bleu période éponge, un hommage à Novalis de Brauner, La nuit enfermée dans le marbre de Carrare, de CJH Boutros. Puis une puissante création du monde par le symboliste anglais GF Watts, accompagnée d’un assemblage en demi-lune bleue de Toni Cragg, et un Manneken-Pis aux étoiles, du regretté Daniel Tremblay, deux magnifiques Monticelli annonçant la touche du maître, et un champ de blé de ce dernier (dessin).  On pénètre de plain pied dans une dimension céleste (Firmament). En fait, quatre types d’œuvres se dégagent : les approches scientifiques, et documentaires ayant marqué la vision du monde du peintre (en particulier C. Flammarion) ; les artistes qui ont pu l’influencer (Millet, Corot) ;  ceux chez qui on note une influence du peintre (Munch, Spillaert) ou des thèmes communs (Klee) ; enfin les nouveaux venus ayant œuvré pour la plupart en fonction de la fameuse Nuit étoilée, son espace sidéral, ses jeux de lumière (F. d’Estienne D’Orves, D. Boukhenaïssi, Smith : La tête dans les étoiles). Une salle, est en effet réservée aux réverbères (Lumière dans la ville), dont des photographies 2nd empire de Charles Melville, histoire de rappeler l’importance du gaz urbain et de l’éclairage moderne. On découvre un « Concetto spaziale », éclairé et bleu, de Fontana, un immense listing d’Evariste Richer, un très subtil lac la nuit de G. O’Keeffe et un très complexe Frankenthaler. Mais surtout, le 2nd Van Gogh tout en clair obscur : La veillée, inspirée de Millet. Face à un Carra italien ou un Jansson suédois. Un petit cabinet lambrissé, L’atelier de l’astronome, nous familiarise avec des œuvres plus intimes : un biscuit en étoile de Raymond Roussel, des portraits  au féminin d’Albérola, un bout de blue-jeans à la noix stellaire de Franck Scurti, des « célestrographies » de Strindberg, la fameuse tasse de café de Gloria Friedmann, un écran maltraité par Gillian Brett… . Un peu avant, un spoutnik tout de voile vêtu, réalisé par l’américaine Lee Bontecou fait face à des éruptions captées par Trouvelot ou des expériences conduites par  Dove Allouche, au graphite, à l’encre, argent pur et étain, sur papier.

Des plantes livresques de Kiefer, des spirales célestes de Lord Rosse, la vidéo sur l’autre Nuit étoilée par Lavier et nous voilà dans la dernière salle de cet étage (Les spirales du ciel). Des œuvres majeures, picturales, nous y attendent, de Malévich, de Fontana, du futuriste Balla, de Kandinsky, des russes Popova et Klioune…

L’étage réserve bien des surprises, orientées vers l’aspiration spirituelle car il ne s’agit pas seulement d’observer mais de ressentir l’énergie cosmique (Observatoires sacrés, Chemins de l’âme) : des œuvres de M. Chabas, L. Janin, Redon, Ensor y incitent. Juliette Agnel propose trois montages inspirés de Taharqa la nuit, conjuguant le temporaire et l’éternel, tandis qu’Anish Kapoor donne sa vision en verre de la Création. Nous découvrons ensuite une œuvre du grand artiste finlandais Akseli Galien-Kallela, impliquant la rivière des morts. Gaëlle Choise lui répond par un tableau syncrétique, mêlant un peu tous les mediums (céramique, documents, peinture…), et mettant en abyme cette expo, en s’inspirant de la date 1888, où fut créée La Nuit étoilée. Plus loin, on croise une gravure de Doré, des cartes au bic de l’ivoirien F. Bruly Bouabré, des mers d’étoiles et architecture alpines de Bruno Taut, le scaphandrier des nuages de l’italien Prampolini, puis l’œuvre du lithuanien MK Curlionis, une tempera musicale et sableuse sur toile. Une surprenante Prémonition de Paul Mignard fait accéder au dernier : une installation binaire, murale et en suspension de Mariko Mori.Plus un tableau, toujours étoilé, tardif, de Meret Oppenheim. Enfin, face à des photos de l’illustre arlésien (il en fallait un : Clergue), une sculpture de Jean-Marc Appriou, sous cloche de verre, une tête d’observateur de nébuleuse, dont le corps est traité de manière égyptienne, un pas en avant… Une exposition foisonnante qui fait découvrir des noms oubliés épris d’astronomie (Ferdinand Quénisset) ou de quête d’infini (Alexandre Séon), d’équilibre et harmonie (A. E. Bergman), qui s’ouvre à l’international sans oublier la jeune création en France. L’expo de cet été, dont on espère qu’il sera éclairé de nouvelles nuits étoilées… BTN

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