Chroniques — Madeleine Filippi

Du 15 au 18 mai 2023, Madeleine Filippi, lauréate de la première édition du programme Chroniques, a été invité dans le Cher par devenir·art, en partenariat avec l’AICA France et la Revue Laura.

Elle y a rencontré les artistes Anaïs Dunn, Jean Frémiot, Anne Houel et Antonin Verhulst ainsi que les équipes de la Transversale et du Centre céramique contemporaine La Borne. Elle nous livre ses textes, chroniques vivantes témoignant de ces rencontres.


Pas-à-pas…
J’ai vu des œuvres connectées aux ondes sismiques de la terre, découvert un berceau historique de la
céramique en France, un centre d’art dans un lycée…

Pas-à-pas…
J’ai suivi le rythme rendez-vous après rendez-vous d’une organisation bien ficelée
J’ai savouré les interludes…
Parce qu’être sur le terrain c’est aussi des rencontres fortuites au café, entre deux rendez-vous lors de ces
temps de latences que je chérie tellement. Ces espaces liminaux où les échanges à demi-mots permettent
de se découvrir l’un et l’autre
J’ai pu ainsi parler en terrasse de protestation et du marché de l’art avec l’artiste Ukrénien Danylo Halkin
ou encore parler de la folie avec Aurore Morillon et Vanessa Brunet lors d’une pause-café à Antre Peaux

Pas-à-pas…
On m’a dévoilée les entrailles de lieux

Pas-à-pas…
J’ai découvert une scène émergente bouillonnante

Pas-à-pas…
J’ai contemplé une déclinaison de Tobrouk réelle et fantasmée

Pas-à-pas…
J’ai plongé dans la découverte d’un conte initiatique pensé par un jeune étudiant des Beaux-Arts de
Bourges

Pas-à-pas…
J’ai goûté aux expérimentations artistiques qui m’ont été offertes

Pas-à-pas…
J’ai observé parfois en silence parfois animée d’une multitude de questions

Pas-à-pas…
J’ai été choyée tout au long de ce séjour par l’équipe de devenir.art, celles des centres d’art et les artistes
bien sûr

Pas-à-pas…
J’ai découvert des fils rouges, des redondances et des échos…

Pas-à-pas…
Les notions d’environnement, du care, de la protection et de la sauvegarde m’ont semblé essentielles sur
ce territoire

Pas-à-pas…
J’ai été touchée par la richesse des propositions artistiques qu’il m’a été permise de découvrir
Dernier pas…
Le temps de partir et de mettre fin aux échanges
Le temps douloureux de la restitution sous le joug millimétré du nombre de signes à respecter
Le temps de mettre le point final.

Les œuvres telluriques d’Anaïs Dunn

Des paysages réalisés avec du bitume, une sculpture connectée aux activités sismiques de l’Antarctique, de nombreux motifs minéraux en verre filé, les œuvres d’Anaïs Dunn témoignent de manière poétique de l’impact de l’activité humaine sur l’environnement.

Depuis plusieurs années, elle développe une réflexion autour de la matière et du vivant. Elle se plait à jouer avec les codes de la recherche scientifique, que l’on décèle au sein de son processus créatif jusqu’à la mise en espace de ses œuvres. On observe par exemple des vitrines, ou encore des dessins à l’aide d’hydrocarbures capturés et mis sous verre qui empruntent aux protocoles de la recherche.

Dans l’œuvre évolutive Mineral activity, elle nous dévoile les différents procédés d’extractions. Les notions de vibrations et d’échos que l’on retrouvent également dans de nombreuses œuvres viennent participer aussi à ce lien entre art et science. A demi-mot l’artiste révèle que selon elle, la vibration renvoie à notre époque postmoderne sous tension permanente. Le recours au vide, au creux ou encore à la disparition, sont eux le témoignage d’un monde en mutation.

Entre destruction et contamination, le monde géologique qui hante la démarche d’Anaïs Dunn est composite, il joue avec la porosité des matières. A travers la mise en place d’un jeu harmonieux des tensions, les minéraux suspendus, prisonniers ou en équilibre dont elle se sert ou qu’elle imagine, traduisent l’extrême fragilité de notre environnement.

Les œuvres telluriques d’Anaïs Dunn, s’inscrivent dans le mouvement de l’art écologique, cependant le discours politique ne vient jamais supplanter l’expérience qu’elle nous raconte. Elle préfère nous confronter à l’expérimentation des mécanismes physiques de la nature. Elle dissimule alors, l’approche didactique de son travail derrière le recours à nos sens. Ainsi, à chaque visite l’on est saisi par l’envie irrésistible de s’approcher, de toucher et d’écouter les œuvres qu’elle nous donne à voir, comme happé par la nécessité de comprendre.

Jean Frémiot – L’art de prendre du recul

Des bas-reliefs étranges, des architectures insolites ou encore des installations énigmatiques peuplent l’univers d’Anne Houel. L’artiste questionne l’architecture à travers le prisme du temps et de la mémoire. Entre apparition et disparition, une esthétique de la ruine se dessine sous nos yeux. Telle une archéologue, elle puise son inspiration de souvenirs ou au sein des territoires où elle est amenée à créer. Elle prélève des artefacts de ces paysages en transformations, fragments d’architectures, restes de béton et collectes végétales qui portent en eux l’estampille d’une histoire passée qu’elle vient raviver. Toujours dans cette posture de l’artiste – chercheuse, la cartographie et le dense travail de recherches d’après archives qu’elle expérimente lui permettent de mettre en place de véritables typologies formelles et autres investigations créatives.

Depuis quelques années, elle a entamé une réflexion autour des architectures – refuges comme en témoignent les séries Cabanes ou le projet sur le modèle du bunker individuel, le Tobrouk. Ainsi, Anne Houel nous guide de la ruine à l’idée de sauvegarde que l’on retrouve notamment dans ses œuvres in situ, de manière plus ou moins prégnante. Dans Cultures par exemple, cette forme entre l’habitation et la serre de jardin vient accueillir une mise en culture de rebuts et de végétations propres à la ruine. Par ailleurs, cette notion de préservation dans les œuvres in situ apparait à la fois par l’activation par le public et le recours à la symbolique du jeu ce qui permet à l’artiste de convoquer une mémoire collective.

Sans jamais s’éroder, l’œuvre d’Anne Houel fonctionne en rhizome, dans lequel chaque sculpture et série deviennent un élément de langage, de compréhension de l’architecture qui nous entoure. Loin du simple témoignage, elle élabore une archéologie du présent pour témoigner de la fragilité de notre environnement.

Les « tiers – paysages » ou le conte initiatique d’Antonin Verhulst

Entre installations, vidéos et pièces sonores les œuvres d’Antonin Verhulst nous plongent dans des « tiers-paysages », ces lieux délaissés, ces entre-deux comme définis par Gilles Clément. La particularité du paradigme du paysage chez Antonin Verhulst est qu’il ne se cantonne pas à une réflexion sur le sujet, il y introduit les notions de communication et de langage.

Ces paysages réels ou fantasmés, en marge ou oubliés, sont des espaces liminaux à la lisière de deux territoires, des lieux de transitions et de dialogues possibles. Très sensible aux écrits de l’anthropologue Anne L. Tsing, il imagine des œuvres qui placent le spectateur dans un état d’observation. Il conçoit des espaces d’écoute, de retranscription de ces paysages liminaux. Il nous plonge tour à tour dans la contemplation et la pure observation. Face à ses œuvres, dans une barque ou à regarder un aquarium, on oscille entre poésie et humour sans jamais perdre le fil de l’histoire. Malgré tout, l’esthétique du fragment qui se devine aisément dans son travail évoque la mémoire lapidaire, le souvenir laconique, et la nécessaire expérimentation de ces
« tiers-paysages » pour mieux s’en saisir. Cette idée d’expérimentation est d’ailleurs centrale dans la démarche de l’artiste, on la retrouve à travers la considération portée à l’échec et à la précarité de
certains dispositifs pour mieux décaler le récit.

Résolument poétique, à la manière d’un conteur, les œuvres d’Antonin Verhulst nous dépeint des paysages fugaces. Et s’il s’agissait d’un conte initiatique où nous serions le héros ou l’héroïne de l’histoire en quête de compréhension du monde ?

La Transversale – Un lieu incubateur d’artistes

Niché au cœur du lycée Alain-Fournier, l’espace d’exposition La Transversale est né en 2016. Un projet à l’initiative d’enseignant·es aux interstices de la pédagogie et de la professionnalisation des étudiant·es et des jeunes diplômé·es des écoles supérieures d’art. A travers un programme dense, d’expositions et de micros-résidences, les professeurs coordinateur·ices Emmanuel Ygouf, Elsa Vincent et Murielle Luck ont mis en place au fils des ans un véritable lieu d’incubation d’artistes.

La Transversale offre une première expérience professionnelle de résidences, d’ateliers et d’expositions à une nouvelle génération d’artistes. Grâce au travail d’éclaireur·euses de ces enseignant·es, les étudiant·es peuvent découvrir les métiers de l’exposition de la régie au commissariat, en passant par la scénographie et la médiation ; à l’occasion de la mise en place d’interventions professionnelles dans le cadre de leur formation et du partenariat avec l’ENSA Bourges et l’Antre Peaux, ainsi que des expositions « appariées », associant un.e très jeune artiste et un.e artiste plus confirmé·es. Cet engagement pour la scène émergente s’intensifie ces dernières années, avec l’invitation d’ancien·nes élèves d’autres écoles des Beaux-Arts (ENS Nice Villa Arson, Le Fresnoy, ARBA Bruxelles etc.) et la création prochaine au sein de l’établissement scolaire d’un véritable lieu de résidence pour les artistes.

En parallèle, La Transversale et les associations des quartiers prioritaires de Bourges, conjuguent leurs ressources et compétences pour construire un cadre d’échange artistique à la fois professionnel, pédagogique et social, pour permettre à de nouveaux publics de découvrir l’art contemporain.

La Transversale accueillera cet été « Ce n’est pas la fin du monde » avec Alice Da Rold et Clara Gendre-Wesche. Cette exposition d’anciennes étudiantes de l’ENSA Bourges propose une réflexion sur nos interactions avec notre environnement.

  • Ce n’est pas la fin du monde
    21 juin au 29 septembre 2023
    Alice Da Rold et Clara Gendre-Wesche
    Exposition en coproduction avec l’Ensa Bourges et l’Antre Peaux
    dans le cadre de Bourges contemporain 2023
    La Transversale

Le Centre céramique contemporaine La Borne (CCCLB) – l’incontournable

Le centre céramique contemporaine La Borne (CCCLB) est un lieu emblématique du patrimoine potier en France et demeure incontournable pour la scène céramique contemporaine. Le CCCLB, en partenariat avec l’Association Céramique La Borne, organise des expositions, des résidences, des ateliers pour différents publics et accueille des stagiaires. Éducation et médiation sont au cœur du projet artistique du CCCLB, dont l’identité principale est devenue la cuisson à bois. A travers toutes ces actions, le CCCLB poursuit son rayonnement à échelle locale et internationale, témoin privilégié de l’effervescence de la pratique de la céramique contemporaine.

Les artistes et le public viennent y chercher la diversité des techniques, le partage du savoir-faire et la notion de communauté d’artistes. Cette dernière prend tout son sens lors de l’événement annuel Des Grands Feux, lors duquel le public à la chance de voir directement dans les ateliers comment travaillent les artistes et leurs différentes techniques.

Jusqu’au 27 juin, vous découvrirez « L’Espèce rouge » d’Agnès Debizet. Un univers mystérieux dans lequel prolifèrent des êtres hybrides, mi animal – mi végétal en grès brut. La répétition de la forme du creux nous laisse penser à une mue en cours ou passée. On découvre ici et là la série Rochers travaillée par l’artiste de manières différentes avec l’ajout d’engobe, le dessin y vient épouser parfaitement la céramique. Ce savant travail de mise en scène à mi-chemin avec l’installation nous plonge dans un autre monde. Le second plateau d’exposition accueille quant à lui, les œuvres du potier sud-africain David Whitehead, dont la démarche est en pleine mutation. Il se concentre désormais à la technique du modelage et imagine ces imposants torses monolithiques.

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