Exposition mountaincutters, « Du pouce jusqu’à l’auriculaire », Espace croisé, Roubaix, 2021
Roubaix, du 4 février au 4 avril (sur rendez-vous)
MESURER, QUOI (AVEC LES DOIGTS) ?
[Version avant-coureuse du texte de l’exposition]
Vous qui entrerez dans le monde des MOUNTAINCUTTERS, dans la configuration qu’il aura prise — car en chaque lieu et en chaque exposition leur monde se réinvente pour s’incarner en des formes un peu pareilles et un peu autrement —vous vous direz : que tout cela est bien étrange, en même temps que familier. Ainsi, de ce monde, vous allez vite ressentir la CARACTÉRISTIQUE N°1: IL EST PARADOXAL. Les installations élaborées par le DUO, avec leurs airs de ruines bien que pourtant fraichement inaugurées, les objets qu’ils façonnent, en gros de guingois mais dans les détails précisément peaufinés, les effets qu’ils produisent sur nous, bizarres, bizarres, et puis non, semblent en effet concilier l’inconciliable (1). L’oeuvre des MOUNTAINCUTTERS est marquée par les paradoxes, à commencer par leur méthode de travail qui peut être définie grâce à la CARACTÉRISTIQUE N°2: L’IN SITU PRÉPARÉ. A chaque exposition, les deux artistes reprennent tout à zéro en fonction de l’emplacement géographique du lieu, de son histoire, de sa configuration. Ici, étant invités dans un ancien couvent où vivaient il n’y a encore pas si longtemps des Clarisses, ils ont pensé la structure de leur installation en termes de cellules, de cloisonnements, de petits espaces emboités dans un espace plus grand. Cependant, tout n’est pas entièrement décidé à l’improviste, sur place, pour autant. Les éléments installés sont pour la plupart issus d’expériences réalisées au préalable et même souvent composés à partir de matériaux de récupération. Car si les MOUNTAINCUTTERS ré-installent tout pour chaque exposition, ils démontent aussi tout à la fin, conservant des fragments et des matières pour réinventer, plus tard. Peut-être ce type d’opération est-il facilité par une alchimie qui leur est propre: une hypothèse, la CARACTÉRISTIQUE N°3: ILS AVAIENT MIS LE FEU A L’EXPO (C’EST COMME S’). Car, quant à leur méthode, il faut apporter une précision. Les MOUNTAINCUTTERS créent en détruisant ou détruisent pour créer, chaque exposition faisant événement où surgit du tout nouveau, du genre à essuyer les plâtres, mais tiré du très ancien, presque de l’antique, du cassé et du brûlé, comme s’il leur fallait mettre le feu à l’exposition avant de la vernir, la détruire pour la faire advenir. Leur oeuvre évoque la magie d’un éternel chantier. […N° 4, N° 5, N° 6, N° 7,…] Et enfin, tout à la fin, en terminant votre visite, vous aurez l’impression de comprendre quelque chose à cette maxime philosophique, qui peut servir de CARACTERISTIQUE N°8: « LE TEMPS EST UN ENFANT QUI JOUE EN DÉPLAÇANT DES PIONS » (2). La temporalité à l’oeuvre chez les MOUNTAINCUTTERS est celle, comme leur nom le suggère, d’un règne minéral redessiné par des artistes, joueurs, au sens où on peut se mettre à dessiner avec des lames, des limes, des fours, des chalumeaux, des cloisons, des roulettes, des références. C’est l’éternité de la matière et l’instant du geste confondus, le poids du temps long et la fugacité du trait d’esprit actuel. En traversant l’exposition, vous aurez pris une certaine mesure du temps.
VANESSA MORISSET
(1) Cette notion de paradoxe est bien mise en évidence dans la présentation donnée par Guillaume Désanges, mountaincutters: Le désordre des choses, Prix des amis du Palais de Tokyo, le 13 octobre 2020.
(2)Héraclite, fragment 52, traduction de Marcel Conche.