Fabien Boitard, La Mouche, Domaine de Pradines le Bas, Béziers, 34500
La peinture figurative connaît un regain d’intérêt, chacun peut le constater. Celle de Fabien Boitard se distingue du lot par ses audaces, son ambivalence et sa nouveauté. Car elle n’applique pas les anciennes ficelles et recettes. Elle réfléchit sur elle-même et sur la légitimité de ses codes. Là où l’on attend un portrait bien sage, elle brouille les repères et donne à voir la différence (Une grimace). Or on sait combien cette dernière inquiète ! En ce sens elle ne se dissocie pas du contexte politique. Elle joue à fond la carte de sa matérialité soit dans les transparences (Le chien qui cherche sa balle se détache à peine du décor naturel environnant), soit dans ses balayages à grands traits de surface (C’est la cas du Dragon par ex), soit dans le recours à ses taches compactes qui affleurent devant le nez des visiteurs, les incitant à se rapprocher pour aller y voir de plus près. Dans le lieu d’art contemporain de La Mouche, la série la plus récente, Derrière les fleurs la montagne, revisite la tradition du paysage et en inverse les fondamentaux. Le premier plan, floral, est flou, tandis que le point de fuite est supplanté par une tache de modeste dimension où se repère une idée de montagne (en relief !) qui vient rappeler au visiteur l’illusionnisme de tout tableau. Le point de fuite se fait concret, s’impose aux yeux des spectateurs et renouvelle sa conception de la perspective. Il n’est guères interdit au peintre de se poser des questions sur sa pratique ni de participer à la quête de cette vérité en peinture dont parlait Cézanne.
La montagne, quelque peu stylisée, traitée géométriquement est très présente dans la peinture de Boitard qui l’assortit d’arbres traités de manière expressionniste, preuve de son recul par rapport au réel photographique, et ainsi de l’originalité de sa conception picturale. C’est précisément ce que l’on attend d’un peintre. Qu’il nous fasse voir le monde (et la peinture) autrement. L’être humain est absent de ces paysages comme si sa présence était négligeable au regard des dimensions démesurées de la Nature. Façon de rabattre nos prétentions. Boitard fait subir bien des transformations (recours au flou, aux pixels, à la « forêt de peinture ») au paysage mais les couleurs ne sont pas en reste. Des jaune et orange viennent enflammer une Vallée.
Si les nouvelles peintures sont à l’étage, certaines de formats intimistes, elles s’inscrivent dans une continuité, ce qui se voit dans l’entresol. Outre le portrait de « puissant », auquel Boitard taille une cravate, façon originale d’en mettre en exergue la Vanité humaine, toujours en rappelant les données matérielles qui composent le tableau (ici la toile, son envers)… l’artiste y présente ses Châteaux son Jardin et les chemins touffus et tortueux qui y mènent. Certes le Château est un signe ostentatoire de richesse mais il est aussi mémoire patrimoniale de ce que l’art est capable de produire de plus inventif. Il est le lieu interdit au commun des mortels (une grille nous le défend !) ce qui n’empêche pas d’en rêver et d’en faire un repère utopique (comme l’est par ailleurs la montagne) : un Horizon, la vie de château à laquelle trop peu accèdent. Dans Ruissellement, la montagne alimente en eau, tant les lotissements que le fameux château. Les puissants profitent du bien commun. Le rêve coûte cher. Toutefois, au-delà de la signification politique, c’est le traitement qui retient l’attention : la stylisation extrême des maisons, le caractère photographique et flou du château, la figure flottant sur la toile, un certain tachisme, les grands traits gestuels… Enfin, le rez-de-chaussée de La Mouche renvoie à des œuvres plus anciennes, expérimentales telle cette toile qui a pris la forme d’une habitation, cette autre « séparable » aux oiseaux, ce triangle ouvertement érotique. Boitard y rappelle qu’un peinture se nourrit des autres peintures (Leda et le Cygne), y traduit avec humour sa pensée sur sa pratique (un œuf au plat sur le plan du peint, associé à un canard), y entretient l’ambiguïté entre le maintien de la figure (un canard en plein vol sur une très grande toile) et l’abstraction (3 petits points rouges comme de suspension qui invitent à imaginer la suite). Il faut pour finir évoquer l’ambivalence de sentiments qui lie Boitard à la peinture. Qui aime bien châtie bien. Il la vénère, lui sacrifie sa vie et en même temps la maltraite, la tourne en dérision. C’est que l’on n’obtient rien en peinture, si on la nourrit seulement de bons sentiments. Il faut lui injecter de cette cruauté dont parlait Artaud. C’est à ce prix que l’on accède à un tant soit peu de « vérité ». BTN
Jusqu’au 04-10