Yvonne Rainer au Crac de Sète

Yvonne Rainer, Crac, Sète
Les amateurs de danse contemporaine auront de bonnes raisons de se précipiter vers cet hommage très documenté à l’une des chorégraphes les plus inventives de sa génération, celle qui succède aux apports décisifs de Martha Graham ou de Merce Cunningham, mais qui voisine avec ceux de Trisha Brown ou de David Gordon (Judson dance Theater). Mais pas seulement les passionnés de danse. Cette expo a d’autres ambitions tant idéologiques que liées au genre. Ses contemporains l’accompagnent. Outre Rauschenberg, on y retrouve des tentatives de caméra subjective dans les images de Babette Mangotte. Toute une époque. L’apparition d’Yvonne Rainer correspond aux expériences nouvelles des happenings, du pop art d’Andy Warhol qu’elle a connu et du minimal art (elle fut la compagne de Robert Morris). Bref des avant-gardes, d’un renouvellement radical des formes et des débuts des engagements féministes auxquel elle contribua. On peut diviser cette monographie en trois parties qualifiables de biographiques, la 4ème faisant intervenir des artistes en affinité plus ou moins directe avec l’invitée d’honneur. Ces œuvres plus proches de nous enrichissent considérablement le parcours et lui donnent soit un prolongement soit une actualité. L’immense salle de l’entrée en témoigne, qui nous offre une frise de multiples documents concernant la participation d’Yvonne Rainer aux mouvements des années 60 à New York et son évolution jusqu’à nos jours. Une vidéo suspendue, au verso d’un écran central, en noir et blanc, ressuscite le temps et le mouvement de sorte qu’on la voie danser avec son style novateur et si particulier son fameux Trio A (version 78). Le recto qui nous accueille en couleur, de Pauline Boudry et Renate Lorenz, la dévoile expliquant à une jeune performeuse comment exécuter la danse de Salomé, personnage hautement symbolique de l’histoire de la culture et héroïne d’un film de Nazinova. Son amitié pour la critique Jill Johnson est également mise en exergue et l’on voit se profiler le thème de l’homosexualité dont la chorégraphe fera l’une de ses causes avec l’antiracisme ou la lutte contre le sida. La 2ème partie, en plein cœur du Centre d’art, effeuille l’intégrale des films réalisés par la danseuse. On peut ainsi s’installer pour des heures et revenir plusieurs fois (l’expo est gratuite) selon que l’on sera sensible au thème du terrorisme allemand des seventies (Journey from Berlin), aux contradictions d’un coureur de jupons (The man who envied woman), à la délicate approche de la ménopause (Privilege) ou à l’homosexualité féminine (foncière ou découverte : Murder ans murder) etc. La 3ème marque son retour à la danse en même temps que l’artiste revient sur sa contribution à l’histoire de son art. On en retrouve des exemples dans les dernières salles avec Hybrid ou les Work 1999-2023 et sa pièce majeure Part of some sextets, opposés au Five easy peaces assez radicales des années 60. Enfin des vidéos (A travers le miroir, montage où Rainer est carrément citée, Melas de Saturne, de Josefa Ntjam qui revient sur la notion de Persona, chère à Rainer), des installations (Maheke), des sculptures (Jean-Charles de Quillacq, travaillant sur les rapports du corps à l’objet) ou des œuvres murales (Nick Mauss) résonnent avec l’œuvre de l’artiste pionnière, en danse, en cinéma mais également en tant que théoricienne ou auteure. De fait, Yvonne Rainer est partout : dans des entretiens avec Adam Pendleton autour de la définition du Mouvement, dans les Rainer variations de Charles Atlas, collage de documents et esquisse de faux portrait, dans les photogrammes extraits d’un film d’Ulrike Ottinger, dans le Fast trip de Gregg Bordowitz où l’écrivain évoque son quotidien avec le Sida… Plus subtilement encore, dans le lit imprimé de Maheke, sur lequel a œuvré Rainer ou dans la peinture inversée sur verre de Mauss. En fin de compte, on se sent proche d’une personnalité inventive et complexe qui cristallise toutes les remises en question de notre époque comme de la sienne, et dans l’entre-deux. BTN
Jusqu’au 15-02

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